Bonus PREMIER RÔLE

Premier regard – POV Maden


Je regardai par la fenêtre de l’hôtel où nous prenions le brunch avant la cohue. Il y en avait pour la journée à enchaîner rencontres et interviews, jusqu’à la fête du soir dans un pub. J’en étais épuisé à l’avance. La nuit que j’avais consacrée à la lecture de scripts n’avait pas amélioré mon humeur et l’idée de me faire hurler dessus par les fans ne m’égayait pas vraiment. En général, ce genre d’événement n’était pas ce que je préférais dans ce job, car j’étais plutôt empoté face aux marques d’affection des fans. Je ne savais jamais comment réagir ou les remercier. Mais il suffisait que la séance de questions/réponses amène son lot de surprises ou que les filles ne se montrent pas trop hystériques – cela pouvait arriver, malheureusement, j’avais failli finir piétiné une fois quand un service d’ordre s’était laissé déborder – pour que j’apprécie ces moments. L’enthousiasme des fans était souvent communicatif et nous boostait pour les journées interminables que représentaient les tournées de promotion.
La promo londonienne précédait une pause que je m’accorderais et je ne pouvais m’empêcher d’avoir hâte, même si me retrouver avec toute l’équipe c’était un peu comme être en famille ; un cocon rassurant avec des personnes que je côtoyais plusieurs mois par an depuis bientôt trois ans. Dans ce boulot, il était rare d’avoir le temps d’approfondir ainsi, j’avais plutôt l’habitude de croiser les gens pendant une courte période intense avant de changer de projet ; là, ça devenait presque un prolongement du tournage.
Nous avions fini le dernier opus il y avait déjà deux mois et ils commençaient à me manquer, même si je ne l’aurais pas avoué à voix haute. Surtout à Jackson ; ce type était le gars le plus space qu’il m’ait été donné de rencontrer, il aurait été capable de tenter de me rouler une pelle sur un simple délire ! Sans parler de sa façon d’être en décalage permanent avec le reste du monde. Il était soit dans la lune, soit branché sur du 200 volts. Il suffisait qu’on soit tous claqués pour qu’il ait la pêche, à croire qu’il vivait pour évoluer à contrecourant. Ce qui n’était pas pour me déplaire ; j’aimais les gens atypiques, qu’on remarquait et qui possédaient leur univers.
Lauren caressa ma jambe. Dans un geste automatique, je vérifiai que personne n’était en train de nous prendre en photo. Conserver cette relation secrète – sans l’être vraiment – me fatiguait. J’avais hâte de pouvoir renégocier les contrats après le prochain tournage pour avoir plus de leste sur ce point.
— Bon, je récapitule…
Greg énuméra une longue liste de boissons qu’il devait aller chercher dans un café du coin. Il s’éloignait à peine quand un manager vint nous briefer sur le déroulement du fan event. À partir de là, tout s’enchaîna à toute vitesse : on amena dans le parking privé du bâtiment les voitures qui devaient nous conduire à moins de cent mètres de l’hôtel où nous patientions –marcher semblait totalement hors de question – et moins de cinq minutes plus tard nous stationnions en retrait pour laisser les autres traverser l’allée créée par des barrières dans la foule. Tyler, Lauren et moi clôturions toujours la file et, pourtant, cela demeurait vaguement gênant. J’aurais sûrement dû m’y faire, j’étais l’un des trois héros de la saga. Malgré cela, j’aurai aimé passer plus inaperçu. J’étais un mec un peu contradictoire ; vouloir exercer ce métier sans être une star était idiot de nos jours.
Enfin, la fille de notre limousine donna le top au chauffeur qui alla se garer devant le tapis rouge. Nous descendîmes dans un bel ensemble et mes automatismes revinrent. Je signais à toute vitesse, souriais et me laissais prendre en photo. Le but était clairement d’essayer de les écouter et quelque part les remercier pour leur investissement, tout cela en quelques secondes. Je n’étais pas quelqu’un de tactile, à part avec mes proches, pourtant je ne bronchais jamais lors de ces occasions pendant lesquelles un nombre incalculable d’inconnus me serraient dans leurs bras. Greg passa près de moi et je reconnus le signal pour me prévenir que nous étions en retard. Je le suivis donc avec un sourire d’excuse à une jolie asiatique qui portait une fausse morsure de zombie dans le cou et semblait bien prête à tomber dans les pommes.
Quelques mètres avant l’entrée, j’entendis Greg lancer en français : « Bon café ! ». Même avec mon piètre niveau, résidu de mes études, j’étais capable de comprendre ces mots. Il s’était adressé à une rouquine à la coupe bizarre. Enfin, rouquine si on exceptait les mèches noires. Elle avait un visage aux traits fins qu’on oublierait presque tant ses vêtements tape-à-l’œil perturbaient au premier regard. Nos yeux s’accrochèrent une seconde au milieu de la foule. Qui était-elle pour qu’il la connaisse ? Je me décidai à continuer et rejoignis le hall du bâtiment.
Le calme qui succéda à la marée de hurlements me soulagea. À chaque fois, je ne pouvais m’empêcher d’être sur le qui-vive et devais jouer le type à l’aise, coutumier du fait, alors qu’en réalité j’étais toujours aussi surpris par les émeutes que nous provoquions. Je finirais bien par m’habituer, pas vrai ?... Pourquoi j’en doutais ?
Un des membres du staff nous conduisit jusqu’aux coulisses où nous devions patienter le temps que le public s’installe. Greg arriva avec les boissons et je récupérai le litre de café noir censé m’aider à tenir la journée – à défaut d’une intraveineuse plus problématique.
— Vous pouvez me remercier, j’ai carrément dû me battre pour ces gobelets ! Une Frenchy habillée en arc-en-ciel m’a carrément agressé au café. Miss Starbucks...
Je fronçai les sourcils, repensant à la rouquine.
— La fille que tu as saluée dans la foule ?
— Yep, elle m’a envoyé balader comme un malpropre, j’ai vu le moment où elle me donnait un coup de talon ! Mon sourire légendaire n’y a pas suffi, c’est plutôt étrange.
Si son ton était toujours décontracté, je sentis qu’il se retenait de grimacer. Vexé ? Un mec comme Greg ? Je croisai le regard de Jackson et je le devinai aussi intrigué que moi.
— Toi ? Tu t’es fait remettre à ta place par une inconnue ? répétai-je.
— Elle m’a agressé, je vous assure.
— Raconte-nous ça, l’encouragea Jackson dont l’amusement était palpable, visiblement pas plus convaincu que moi.
— En fait, elle voulait que je lui offre sa boisson. Je pense qu’elle craquait pour moi, je suis du genre…
— Beau gosse, on sait, Greg, soupira exagérément Lauren, souriant malgré tout.
Greg et elle se chamaillaient sans cesse depuis qu’il s’occupait de gérer la promo londonienne. Lauren m’avait plu pour ça à notre rencontre : sa capacité à taquiner les autres accompagnée d’un humour assez pince-sans-rire… bon, et ses fesses. J’aurai pu me montrer jaloux si la situation avait été différente, mais Lauren et moi étions ensemble depuis trois ans ; je ne me faisais aucune inquiétude sur la solidité de notre couple.
— Et en vrai, il s’est passé quoi ? relança Jackson. Quelle rouquine d’ailleurs ?
Là c’est à moi qu’il s’adressait. Je haussai les épaules et lui répondis succinctement – Lauren n’était pas du genre à mal le prendre mais je me sentais mal à l'aise de décrire une inconnue dans le détail. Or je réalisai que le tableau que j’en gardais était plutôt précis. Sûrement l’explosion de couleurs ; c’était resté imprimé sur ma rétine. Un éclair traversa les yeux de Jackson quand il reprit la parole :
— Je l’ai remarquée. Elle a deux longues mèches devant et une coupe au carré ? Jolie fille, tout à fait mon…
— Les gars ! On y va.
Jackson afficha aussitôt un sourire ravi : en voilà un qui vivait bien la célébrité, ceci dit il subissait moins de pression et de harcèlement que moi. D’ailleurs, qu’est-ce que ce type pouvait craindre ? Il semblait sans cesse décontracté et confiant quoi qu’il advienne. Je ne le voyais pas stresser, même pour une audition capitale devant le plus grand réalisateur, j’étais persuadé qu’il arriverait en sortant une blague et en échangeant avec les directeurs de casting comme s’ils se connaissaient depuis un bail.
— On t’interroge plus tard, promit Jackson à Greg, avant de suivre Tyler sur scène.
À mon tour, je fis bientôt mon entrée et tentai de sourire malgré les cris qui fusaient de toutes parts. Super, mes collègues avaient encore de quoi à se foutre de moi jusqu’à ce soir… Après un petit sourire à la ronde, j’essayai de caser mes jambes trop longues sous la table étroite et regardai le public à l’aveuglette. Les lumières braquées sur nous n’étaient pas trop fortes et, tandis que le modérateur lançait la séance de questions/réponses, je me permis un coup d’œil rapide à la foule. La rouquine se trouvait là quelque part, mais où ? Je parcourus les premiers rangs avant de réaliser ce que j’étais en train de faire. Ce n’était pas vraiment le moment et en quoi ça m’intéressait au fond ?
— Maden, on va commencer par toi, nous avons déjà repéré une dizaine de questions pour toi et sur ton personnage, annonça le modérateur.
Je souris et me branchai sur pilote automatique ; si cela ne faisait pas cent fois qu’on me demandait ce qui m’avait poussé à accepter ce rôle, que je sois pendu…

Premier baiser – Jackson

Assise en face de Jackson dans un nouveau pub, je profitai enfin de sa présence en tête-à-tête et, ce qui ne gâchait rien, sans supporter une très mauvaise reprise de Tainted Love !
Traîner avec lui avait quelque chose de gentiment explosif ; il semblait toujours de bonne humeur, sans tomber dans l’excès, et je me surprenais à sourire comme une idiote à chacune de ses remarques. Pire, il attisait mon côté fofolle et, au lieu de me surveiller, j’avais juste envie de me lâcher, de porter des fringues bien plus excentriques et de faire tout ce qui me passait par la tête. Révélation inquiétante quand on savait que la plupart des gens fronçaient déjà les sourcils en me voyant dans la rue.
Bien sûr, ces constatations m’amenaient à cogiter : avais-je l’air d’une imbécile énamourée ? Parce que c’était un peu le cas, avouons-le. Il avait une manière de m’interroger sur ma vie, de me prendre au dépourvu par ses réflexions, qui me déstabilisait. Et j’adorais ça chez un homme. Au départ, je l’avais plus envisagé comme un ami ; le mec boute-en-train qui vous fait marrer ; bref, le pote. OK, j’avais aussi remarqué son sourire en coin hypra craquant, mais on a toutes des potes comme ça, un peu sexy sur les bords. Quoique, pas à ce point.
—  Épèle-le une nouvelle fois ?
—  Donne, je vais le taper moi-même, proposai-je.
Je récupérai son portable et m’aperçus un peu tard que je m’étais montrée assez indélicate ; ce n’était pas un proche, je n’aurais pas dû faire ça.
—  Euh, désolée, je ne voulais pas…
Je le dévisageai, incertaine. Son demi-sourire attira mon attention vers ses lèvres et je tiquai un peu plus. On se calme, on ne rougit pas… on se détend ! m’encourageai-je. Enfin, pas trop, sinon tu te la joues malotrue.
—  N’hésite pas à prendre toutes les libertés que tu souhaites avec moi, répondit-il, son sourire s’élargissant encore.
Quelque chose dans ses yeux m’apparut franc et sans équivoque. Sa phrase avait bien le sens que je lui donnais a priori… On se regarda un moment et je faillis piquer un fard monumental.
—  Est-ce que, par hasard, tu es en train de t’inquiéter du métier que je fais ? Comme si c’était quelque chose qui devait dresser… une barrière entre nous ? s’enquit-il soudain, se penchant en avant pour que je l’entende malgré le bruit du bar, bondé à cette heure.
Comme je refusais de lui avouer qu’à cet instant je m’étais plutôt perdue en suppositions sur ce qu’il pouvait faire d’une bouche pareille, j’acceptai cette porte de sortie facile.
—  C’est possible. Vous fréquenter toi et Maden… ça semble surréaliste.
Il haussa les épaules.
—  Je ne suis pas Maden, Thia. Je ne sais pas comment il vit la pression médiatique qui pèse sur lui mais, pour ma part, c’est beaucoup plus calme. La plupart de mes amis ne sont même pas acteurs. Moi-même, je ne me définis pas forcément qu’ainsi. J’ai un groupe et on préfère éviter de signer chez une major, ça compte beaucoup pour moi. Tu n’as aucune raison de te sentir impressionnée. Je préfère quand tu attrapes mon portable sans façon, je t’assure ; j’aime que tu te comportes librement avec moi et ça me fait plaisir. Comme ça, je ne serai pas obligé de mettre des lunettes de soleil en pleine nuit ou de parler de l’horrible présence des paparazzi au quotidien, de mon besoin lancinant de m’évader et…
Je ne pus m’empêcher d’éclater de rire devant son ton résolument ironique.
—  Les paparazzi te fichent la paix ?
—  À vrai dire : pas complètement. Mais presque. Je fais peu de choses qui méritent leur attention. Je vais à des concerts, je sors la poubelle et je fais mon ménage tout seul. Je vois mes amis dont aucun n’est connu… rien qui fasse rêver. Maden fréquente beaucoup plus d’acteurs, de chanteurs… on n’évolue pas vraiment dans les mêmes milieux, bien qu’on s’apprécie.
—  C’est pour ça que tu te montres discret sur ta vie perso ? Tous les articles qui passent sur toi tentent de déterminer le nom de ta copine… eh merde ! Je viens de faire « la fan » en disant ça, râlai-je.
—  Je ne suis pas en couple, précisa-t-il, tout sourires. Et je serais ravi que l’information t’intéresse.
Si j’avais encore un doute, Jackson l’avait très clairement levé. Oui, ça m’intéressait, de là à l’avouer…
—  Thia, tu rougis.
—  Et tu me le fais remarquer, rétorquai-je. Pas très gentleman.
—  Ah… si je t’affirme que ça te va bien, je me rattrape ?
Je pouffai en secouant la tête. Je débloquai son portable et trouvai une vidéo de la danse hawaïenne dont je lui avais rebattu les oreilles pendant un quart d’heure. Du doigt, je poussai l’appareil vers lui pour détourner son attention. Il regarda la vidéo avec les sourcils froncés. Je dus me forcer à ne pas m’attendrir devant son air concentré. Il me posa de nombreuses questions. Il avait déjà séjourné à Hawaï et connaissait le côté symbolique de certaines danses. Nous continuâmes sur le sujet un moment, évoquant la musique, son groupe… ma gêne se dilua et la légère attirance que j’avais ressentie pour lui me sembla plus évidente. Peut-être que sa manière de m’effleurer de temps en temps ou de se rapprocher n’y était pas pour rien. Pourtant je m’en rendis à peine compte, cela se fit petit à petit dans l’ambiance survoltée du bar.
Nous finîmes par battre en retraite quand la sono monta encore d’un cran, empêchant toute conversation. Alors que je m’apprêtais à lui dire adieu devant une bouche de métro – non sans la promesse de le revoir, écrite si besoin ! –, il attrapa ma main et descendit avec moi sans hésiter.
—  Jacks ? m’étonnai-je, me servant d’un surnom qui me venait naturellement aux lèvres après ces dernières heures en tête-à-tête au pub.
—  Oui, ma belle ?
—  Je peux rentrer seule, je doute que tu loges en banlieue de Londres comme nous… Ne t’inquiète pas, il n’est pas si tard, argumentai-je.
—  Si cela fait partie de mes raisons, je profite surtout de cette bonne excuse pour ne pas te quitter si tôt ; on en a pour une heure de plus à être ensemble ainsi. Et si, par hasard, toi, tu crains que je ne devienne envahissant, je t’assure que je n’espère pas te convaincre d’entrer dans ton lit grâce à ma longue filmographie ! Même si la pub que j’aie faite il y a quatre ans pour du dentifrice mérite d’être citée, j’y suis particulièrement à mon avantage avec l’espèce de cirage jaune qu’ils m’avaient collé pour simuler l’« avant/après ».
J’éclatai de rire et m’amusai à l’interroger sur tous les petits boulots foireux qu’il avait enchaînés pour essayer de percer dans le métier. Quand nous arrivâmes finalement à cinquante mètres de ma maison de location, j’étais lovée sous son bras. Il commençait à faire frais et j’avais mal choisi ma tenue, bonne excuse, s’il en fallait.
—  Je suis sûre que la directrice de casting pour les nouilles voulait te mettre dans son lit !
—  Non… si, c’est tout à fait ça. Elle m’a filé son adresse en me rendant une lettre de contact.
Jackson fit une drôle de grimace et je retins un sourire ; il était né pour jouer. Depuis notre entrée dans la rame il avait mimé des dizaines de portraits de stars, aspirantes stars, directeurs de casting imbus d’eux-mêmes, une merveille ! J’avais l’impression d’assister à un one-man-show rien que pour moi. Il avait ensuite cherché à comprendre mon métier et ses travers. Je m’étais laissée aller à raconter les gosses qui souhaitaient apprendre le breakdance et qui se retrouvaient en classique ou en contemporain, les hommes qui pensaient que la prof de flamenco était la cible de drague idéale… Je le fis sûrement avec moins de justesse et de talent que lui, mais j’appréciais de pouvoir parler si librement. Quand il me taquina au sujet de ma patronne la plus acariâtre et se rappela sans effort apparent de son nom, je tiquai. Ce mec avait une mémoire terrible… ou il m’écoutait vraiment. Combien de premiers rencards se finissaient par un rabâchage des mêmes informations ? Voire, cauchemar complet, avec le type qui ne se souvenait plus de votre prénom ? « Ah oui, Théa, j’ai adoré passer cette soirée avec toi. »… Ou pas.
—  Je crois que nous sommes arrivés, annonçai-je à regret.
Il était trop tôt – ou trop tard, selon le point de vue – pour que je l’invite à entrer. Nous ne nous connaissions pas assez, déjà. Pas suffisamment pour envisager une histoire d’une nuit, quels que soient les signaux d’intérêt que m’envoyait mon corps. Et le fameux « dernier verre » équivalait à la proposition précédente à notre âge, j’hésitais donc sur la conduite à adopter.
Jackson se tourna vers moi et un petit quelque chose dans ses yeux me troubla.
—  Je me doutais bien que marcher plus lentement ne suffirait pas.
Je souris.
—  Merci de m’avoir invitée. Je suis contente de cette fin de soirée en duo, vraiment, assurai-je.
Je frissonnai légèrement sous une bourrasque. Il s’approcha de moi et se pencha comme s’il souhaitait me protéger du vent…
—  Je meurs d’envie de t’embrasser. J’ai un peu peur que ça ne soit trop rapide. Que tu me voies comme un tombeur ou un acteur qui se pense irrésistible… et je ne sais pas ce qui serait le pire. Si je revenais demain et que je te redisais la même chose ? Ou après-demain ? Je peux espérer…
Sa voix tentatrice et ses yeux clairs que je percevais mal dans la nuit me firent fondre. Je n’arrivais pas à croire qu’il servait ce baratin à toutes les filles. Ce mec m’inspirait une confiance inédite ; j’étais du genre prudente, voire méfiante, avec les hommes… mais pas là.
Et puis merde après tout ! Je décidai d’arrêter deux minutes de réfléchir ; nous étions dans la rue, pas à côté de mon lit. Comment cela pourrait-il déraper ?
—  Maintenant, c’est très bien, assurai-je.
Je tirai sur les pans de sa veste en cuir pour le pousser à se pencher vers moi. Jackson n’était pas très grand et, grâce à mes talons, il me restait à peine quelques centimètres à franchir pour atteindre sa bouche. Déjà, il venait à ma rencontre et nos lèvres se frôlèrent alors que, bizarrement, je ne m’y attendais pas tout à fait. La sensation me prit au dépourvu. Ses lèvres avaient le goût de la bière que nous avions bue ensemble. Une de ses mains se faufila dans le creux de mes reins où il appuya, me pressant contre lui.
L’effleurement presque chaste me mit les nerfs à vif. Sa chaleur m’enveloppa et j’eus envie de plus. J’inclinai le visage, m’offrant plus, et sa langue caressa la mienne. Mes mains se crispèrent, je perdis petit à petit le contrôle. Notre baiser me coupa le souffle, le rythme de mon cœur accélérant crescendo. Je frôlai sa nuque et remarquai ses cheveux ébouriffés, je me serrai contre lui et passai sous sa veste mon autre bras pour m’arrimer à ses larges épaules.
Quand il abandonna mes lèvres, je faillis replonger sur lui sans réfléchir. Je ne voulais pas arrêter, il embrassait vraiment bien. J’ouvris les paupières et croisai son regard. J’y lus un trouble qui me plut – et me rassura un peu – ; j’aurais détesté être la seule à me sentir touchée plus que de raison par un simple baiser.
—  On est dans la rue.
Je reculai, presque par réflexe
—  Ah, les paparazzi ? soufflai-je.
Il me ramena à lui en secouant la tête.
—  L’atteinte aux bonnes mœurs, rectifia-t-il. Je suis ravi de tester mon self-control de temps en temps, mais là…
Mon expression dut l’amuser, car il m’embrassa à nouveau. Cette fois-ci je sentis la taquinerie qui émanait de lui depuis que je le connaissais ; il se jouait de ma langue, me poussait à approfondir moi-même ce contact au goût de trop peu. J’hésitai entre grogner ou… Il me relâcha et je le fusillai du regard, frustrée.
—  On est toujours dans la rue.
—  C’est un plan diabolique pour que je t’invite à l’intérieur ?
Il eut un rire bas.
—  Pas le premier soir ! Tu me prends pour un mec facile ou quoi ? Je tiens à ma vertu…
Je lui tirai la langue et malgré l’obscurité je perçus le petit sourire en coin qu’il arborait souvent.
—  Très drôle, râlai-je.
Le pire, c’est que je le pensais ; on sentait la boutade, pas le vrai jugement insidieux. Je le repoussai gentiment et le vent frais me fit frissonner à nouveau, sensation amplifiée par la distance entre nous, juste assez pour me donner envie de lui proposer un « dernier verre ». Alors que j’hésitais, incertaine sur ce que je souhaitais vraiment, il me serra un bref instant contre lui.
—  Je reviens demain, sans faute. J’ai des interviews, mais je trouverai le temps.
Il me relâcha assez vite, comme s’il craignait de ne pas y arriver plus tard. Je me forçai à sourire.
—  J’en serais heureuse, assurai-je.
Avant de faire ou dire quelque chose d’idiot, je m’éloignai à reculons puis me retournai pour de bon – histoire de ne pas me gameller devant lui et gâcher ma sortie bêtement. Quand je passai la porte d’entrée de la maison, le plus silencieusement possible pour ne déranger personne, je m’aperçus d’une chose : pas une fois je n’avais songé à Maden pendant ce long tête-à-tête. Pas même à l’humiliante scène du pub.
Je touchai mes lèvres, comme si j’y sentais encore le contact de Jackson. Mince, je ne m’attendais pas à cette fin de soirée ! Certes il m’avait invitée en tête-à-tête, de là à penser… Et je le revoyais le lendemain ! Digne, je regagnai ma chambre sans danser ou faire le moonwalk toute seule… ou si en fait, tant pis pour l’air détaché et cool : Jackson m’avait embrassée !


Premiers jeux... - Jackson

La veille du départ de Jackson je me retrouvai seule avec lui au bord de la piscine. Aux aurores, il prendrait un avion et repartirait pour Los Angeles où sa vie l’attendait. Un autre continent, un autre univers à mille lieues du mien. Pouvions-nous nous dire adieu, bonne continuation et conserver nos numéros pour « garder contact » ? Deux messages par-ci par-là, ça paraissait bien insuffisant.
Je n’étais pas amoureuse, non. J’en étais certaine, nous ne nous connaissions pas assez, il me fallait plus de temps. Non, par contre je devais admettre un gros crush. Ce mec avait tellement des qualités que je recherchais chez un homme : l’autodérision, l’humour, un sourire en coin à tomber et un grain de folie, qui, avouons-le, s’accordait bien au mien. Nous nous comprenions bien sans nous côtoyer depuis longtemps et je trouvais ça assez dément pour en être marquée. Il était rare que je rencontre quelqu’un capable de me deviner avec tant de facilité ou même d’apprécier mon excentricité. La plupart de mes ex l’avaient plutôt… tolérée. Je me retenais, j’avais droit à des sermons sur mes vêtements trop bariolés, mon bindi sur la joue ou tel autre détail. Pas avec Jackson. Déjà son propre style était un peu particulier ; il était loin de se contenter d’un jean/tee-shirt comme certains hommes, portant des vestes de costume, des bracelets de cuir ou des chapeaux plus souvent qu’à son tour – sans même parler de la fameuse crête iroquoise, summum non atteint depuis. Mais même sans tout cela, il était à part. Il chantait parfois au lieu de parler, sortait des vannes complètement décalées ou se mettait à danser avec moi sur un air entendu dans le métro londonien sans aucune honte.
Dingue, barré, parfait, quoi – du moins à mon sens. Depuis le début j’avais l’impression étrange que chacun attendait de voir l’autre lever les yeux au ciel ou hausser un sourcil surpris… mais ça n’arrivait pas. Ses excentricités m’amusaient et les miennes semblaient l’attendrir. Il assumait, point.
Ce soir-là serait notre dernier. Il partait et je faisais mon possible pour ne pas montrer que j’en étais affectée. Nous jouions aux échecs, installés dans la véranda à même le sol. Les filles nous avaient laissé un peu d’intimité pour notre ultime tête-à-tête.
Pour éviter de m’appesantir sur mes sensations, je me chamaillais avec lui comme une gosse, pouffant régulièrement quand il grognait tout seul sur ma manière de jouer au petit bonheur la chance – oui, car je ne savais pas bien jouer aux échecs. Nous avions mixé les règles avec le jeu de dames pour me simplifier la vie. Ce qui donnait… un truc un peu étrange. Ma reine venait par exemple de manger un de ses cavaliers en sautant plusieurs cases.
—  Dame !
—  Je croyais qu’on avait dit que les dames ne comptaient pas…
—  Échec ? tentai-je à nouveau.
Il détailla le plateau, concentré, puis finit par hausser les épaules, visiblement à deux doigts de rire. Avec l’un de ses pions, il mangea une série des miens.
—  Yahtzee !
—  Jacks ! On ne va plus rien comprendre si on continue comme ça.
—  C’est déjà le cas, en fait…
Je capitulai d’un hochement de tête : il n’avait pas tort. Nos yeux s’accrochèrent au-dessus du plateau de jeu. Il me dévisagea un moment avec une lueur dans le regard, un petit quelque chose d’indéfinissable. Un fond de sérieux, un trouble ? Difficile à savoir.
—  Je vais devoir partir…
Ma gorge se serra. Bien sûr… Il était temps. Nous avions repoussé l’échéance plusieurs fois mais ça ne pouvait pas durer. Je fermai les yeux une seconde, incapable de lui présenter un visage neutre à cet instant.
Quand je les rouvris, je sursautai : Jackson s’était penché par-dessus le jeu et se trouvait à un souffle de moi. Il posa la main sur ma nuque et m’attira à lui pour m’embrasser. Le baiser doux au début s’intensifia petit à petit et je me tendis vers lui, me redressant sur les genoux.
—  Deux neurones de grillés, plaisantai-je.
Il me fit un clin d’œil.
—  C’est compliqué les échecs, encore plus les « damchecs ».
—  Dire qu’on est les seuls à le savoir, raillai-je, acceptant sa tentative pour détendre l’atmosphère.
—  Mais nous sommes, par conséquent, les meilleurs joueurs au monde et ça me semble un réconfort en soi dans l’adversité.
Je souris, puis mon visage dut me trahir, car je vis ses yeux s’assombrir.
—  En fait… je ne me sens pas si réconfortée… Reste, cette nuit. Enfin… merde ! Je viens de parler en français, pas vrai ?
Il acquiesça et me fit un petit sourire.
—  Et c’est toujours aussi sexy. Tu es sûre… ? Tu ne souhaitais pas… aller si loin.
Je me mordillai les lèvres.
—  J’aimerais bien qu’on ne… se quitte pas. Mais qu’on ne couche pas ensemble non plus. Pas comme ça, quand je sais que j’ai toutes les chances de ne jamais te revoir. Quitte à me détester dans une semaine mais c’est ce que je ressens, là, maintenant… Tu crois que c’est possible ?
Il me dévisagea un moment avec une expression insondable. Comme un masque neutre posé sur son visage de trublion habituel. Je fronçai les sourcils. Jackson n’avait rien d’un idiot, il était un peu foufou mais pas bête. Pourtant, il affichait toujours tant de décontraction qu’il aurait facilement pu passer pour un fêtard peu réfléchi… Impression que j’avais petit à petit pu réfuter à force de lui parler, de le connaître et qui prenait d’un coup une autre profondeur. Je me plantais totalement sur ce type. Il ne laissait paraître qu’une toute petite partie de ce qu’il était, compris-je alors. Cette réflexion me perturba plus que je ne l’aurais pensé et pour une raison simple : j’agissais souvent ainsi. Je préférais qu’on me croie un peu timbrée et légère que de permettre aux gens de me cerner réellement. Une sorte de timidité étrange, sans doute.
—  Pour toi, je m’adapterai, me promit-il soudain avec une telle intensité que l’air autour de nous me sembla plus dense.
Puis il fondit sur moi alors que je m’apprêtais à l’interroger. Déjà il me soulevait sans effort et il valsa sur lui-même pour m’entraîner vers l’escalier. Je manquai de peu une plante verte et, plus douloureux, un cadre de porte, rétractant mes jambes au passage. J’en oubliai de le questionner, pouffant quand nous faillîmes perdre l’équilibre pour de bon.
—  Jacks, attention !

3 commentaires :

  1. *Soupire* Jackson, c'est sûre et certain il m'a conquise encore plus avec ce premier baiser. Merci pour les bonus ;)

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  2. Plutôt charmée par Maden, et sa personnalité complexe... et touchante, peut-être parce que mon histoire d'amour est assez similaire, et 6 ans d'amour aujourd'hui avec une merveilleuse fille... Mais les débuts difficiles restent pour moi les plus magiques et ceux qui font qu'une histoire d'amour reste plus forte sur le temps... Merci pour vos romans !

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  3. Merci pour ces petits bonus, Jackson est un véritable petit régal :D
    bonne continuation :)

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